Le vrai du faux béton bas carbone
Article publié le 15 décembre 2020
Et si le béton bas carbone n’était pas si bas carbone que ça ? Comment savoir quand la méthode de calcul est complexe et opaque ?
Autant commencer par la fin, ce que tout un chacun appelle béton bas carbone N’EST PAS un béton bas carbone mais, au mieux, un béton un peu MOINS carboné.
Nous estimons qu’il est urgent de rééquilibrer le dialogue et de souligner l’impact réel non négligeable du béton.
Maintenant laissons la place à “comprendre l’astuce de calcul qui permet de faire croire au miracle des bétons bas carbone”
Crédits : © Elioth
Le graphique ci-dessus, extrait de valeurs issues de FDES sur les ciments fournies par l’ATILH, semble promettre un avenir aux bétons “bas carbone” avec des empreintes carbone divisées par 2 voire 3 en fonction du type de ciment. Hoffmann Green Cement annonce un même un ciment à base de laitier de haut-fourneau dont l’empreinte carbone est divisée par 5 ! Pourtant, au cas vous ne l’auriez pas vu passer, des articles commencent à être publiés recadrant ces bétons et la manière dont est effectué le calcul ACV et notamment celui des laitiers, par exemple :
Voici l’explication complète et détaillée :
Le poids carbone du béton est très lié au poids carbone du ciment qui le compose qui est lui-même lié au clinker. Ainsi, la réduction du bilan carbone des bétons dit bas carbone passe par le remplacement d’une partie clinker du ciment par du laitier de haut-fourneau. Toute l’astuce de réduction du bilan carbone concerne l’ACV de ce laitier, qui présente une empreinte carbone presque ridicule par des artifices de calcul.
Principaux matériaux constitutif du béton en partant du béton armé. Dans ce texte, il est surtout question du laitier et du ciment
Le laitier est un “déchet” de l’industrie de fabrication de l’acier. Déchet est entre guillemet car il sert maintenant à justifier l’ensemble des bétons bas carbone utilisant le laitier de haut-fourneaux. Considérer que c’est un déchet pourrait sembler du coup excessif considérant que 95% des laitiers sont commercialisés, dont 82% aux cimentiers, avec un prix de vente décuplé lorsqu’il leur est vendu. Il s’agit donc dorénavant d’utiliser le terme juste qui est celui de “co-produit”.
Le fait que le laitier est un co-produit lui permet d’utiliser les angles morts des normes de calcul environnemental pour littéralement ne jamais comptabiliser son impact environnemental.
Nous avons d’un côté les aciéristes qui considèrent que le laitier est un matériau qui évite l’utilisation de clinker et donc logiquement (de leur point de vue) ils retranchent de leur bilan la différence entre l’empreinte carbone du clinker et celle du laitier. C’est donc une valeur “négative” qu’ils peuvent déduire de l’ACV de l’acier. L’erreur consiste à considérer que l’ensemble des gains est du côté de l’acier alors que la logique voudrait plutôt que les gains se répartissent équitablement entre l’acier et le béton. Mais bon, passons là-dessus, ce n’est pas d’acier dont il est question ici.
Où est passé le laitier ?
De l’autre côté, chez les cimentiers, on se base sur une méthode différente, la méthode (on parle d’allocation) économique. Cette allocation est basée sur le principe que l’empreinte carbone des produits est répartie en fonction de leur prix et de leur poids.
Notons aussi qu’il existe 2 types de laitiers, le laitier cristallisé qui sert essentiellement de remblais et le laitier vitrifié en granulés qui sert bien pour remplacer le clinker.
Avec cette méthode le prix du laitier et le poids de la production de laitier étant très faible devant celui de l’acier, il serait possible de faire parler les chiffres pour tomber à un ratio économique inférieur à 1% et, au final, on se retrouve avec ce genre de mentions dans les déclarations environnementales des produits :
“Dans le cas des laitiers et cendres, au vu de leur contribution économique «négligeable» seul leur transport et traitement à été pris en compte dans ces DEP” (issue de la DEP Ciments courants CEM III/A) ou ça “Pour la répartition des émissions du haut fourneau, tous les impacts sont attribués à la fonte brute” (issue de la DEP du laitier Ecocem)
Le rapport de la WorldSteel Association, quant à lui, indique des proratas économiques entre 0,6% et 5%.
Oui pour simplifier le propos, si un co-produit n’a pas beaucoup de valeur marchande, on ne fait pas son ACV, pratique.
Ensuite, on ajoute à 0 un peu de coût de transformation, de conditionnement et déplacement par la route, pas beaucoup puisque les lieux de conditionnement des laitiers sont à côté des haut-fourneaux, et on obtient l’ACV du laitier et le total est évidemment très faible. Les cimentiers remplacent donc du clinker très émissif par du laitier proche de zéro. Pour mettre quelques chiffres sur ces idées, l’ACV du clinker indique une empreinte carbone de 765 kgCO2eq/t selon l’ATILH, et de 16,7 kgCO2eq/t pour le laitier de haut-fourneau selon le seul fournisseur en France, Ecocem. Facile dans ce cas-là de diviser par 2, 3, 4 voire 5 l’empreinte carbone des ciments.
Reprenons le calcul de l’allocation économique et prenons en compte ce % négligé, car c’est là que tout se joue malheureusement. En appliquant correctement une clé d’allocation économique, le poids carbone du laitier devient significativement plus élevé que les valeurs considérées aujourd’hui par les industriels…
Avec l’allocation économique
En réalité, le comptage à zéro pour le calcul environnemental de la partie production est une trop grande simplification. Même si on allouait 3% voire 1% de l’empreinte carbone de production de l’acier au laitier de haut-fourneau selon la méthode d’allocation économique, cet impact serait sans commune mesure comparé aux quelques kilogrammes considérés aujourd’hui.
Analyse de sensibilité de l’impact carbone du laitier qui dépend, entre autres, de celle de l’acier et du pourcentage considéré pour l’allocation économique
Cette analyse de sensibilité basée sur les valeurs de la Worldsteel Association montre que le bilan carbone minimum du laitier, même en prenant les hypothèses de bilan carbone acier, de répartition de masse et de coûts les plus avantageuses, est de l’ordre de 100 kgCO2eq/t contre 16,7 actuellement !
En prenant des hypothèses bien moins flatteuses on se retrouve avec une valeur multipliée par 30. Oui, vous lisez bien, on parle d’un impact multiplié par 30. Si on veut être un tant soit peu honnête, c’est-à-dire en faisant le calcul détaillé en cherchant les hypothèses les plus favorables comme les plus désavantageuses, le bilan carbone du laitier avec l’allocation économique serait entre 250 à 500 kgCO2eq/t. En prenant certaines hypothèses plus sujettes à caution, il serait éventuellement possible de descendre un peu sous les 250 comme passer au-dessus des 500 kgCO2eq/t.
Rapporté au béton non-armé (nous ne parlions pour l’instant que de ciment), dont l’empreinte carbone s’exprime généralement en kilogrammes de CO2 équivalent par mètre cube, nous obtenons que l’empreinte carbone d’un béton C30/37 en CEM III/A serait en réalité entre 175 et 215 kgCO2eq/m3 (selon que l’on prend 250 ou 500 kgCO2eq/t pour le laitier) au lieu de 137 kgCO2eq/m3 actuellement, et celle d’un béton C30/37 en CEMIII/C serait entre 120 et 190 kgCO2eq/m3 au lieu de 57 kgCO2eq/m3, là où, pour comparaison, un béton C30/37 traditionnel en CEMI est à 258 kgCO2eq/m3.
Mais il n’y a pas que l’économie dans le carbone
Pire, l’allocation économique est la méthode d’attribution de l’impact carbone d’un processus de fabrication à des co-produits la moins recommandée par les normes internationales ISO sur le calcul ACV. Au niveau macroéconomique même, l’allocation économique revient à dire que l’impact carbone d’un produit est proportionnel à son prix quand, sur le marché des liants pour béton, il n’existe qu’un seul revendeur de laitier avec un prix uniquement lié à sa volonté car détenant le monopole. On pourrait même se risquer à parler de connivence entre les secteurs de la sidérurgie et de la cimenterie dans la mesure où l’actionnaire principal d’Ecocem est … Arcelor-Mittal, qui gère évidemment les hauts-fourneaux.
Les autres méthodes d’allocation à notre disposition pour contourner ce problème donnent pourtant des résultats bien différents. Nous pouvons citer par exemple l’allocation massique, qui se base uniquement sur les rapports de quantité de produits et co-produits en sortie du processus, à privilégier face à l’allocation économique lorsque cela est possible. Il y a aussi la méthode par expansion du système qui est déjà utilisée par les aciéristes mais qui pourrait être adaptée en répartissant les bénéfices des impacts évités par la consommation de laitier par rapport au clinker entre les deux industries en jeu. Ou bien même, nous pourrions envisager une méthode d’allocation basée sur la subdivision du système de production de l’acier en deux systèmes, celui de l’acier et celui du laitier avec une étude qui donne une empreinte carbone de 550 kgCO2eq/t pour le laitier par Buttiens et al. (2016) (The Carbon cost of Slag Production in the Blast Furnace, A scientific approach).
Sans rentrer dans le détail de ces méthodes, si nous calculons l’impact global du ciment en fonction des différentes formulations de ciment nous obtenons les résultats suivants :
comparaison des différentes méthodes d’allocation
Finalement, on voit bien que, peu importe la méthode, la valeur de l’impact carbone du ciment est plus autour de 500 kgCO2eq/t que de 159 kgCO2eq/t dans le cas du CEM III/C et donc le laitier est plus probablement autour de 400 à 500 kgCO2eq/t, valeurs que l’on retrouve assez fréquemment dans la littérature scientifique.
Évidemment, On pourrait reprocher à la méthode d’allocation massique qu’elle considère que l’impact du laitier est identique à celui de l’acier là où la logique voudrait quand même lui attribuer un impact plus faible. Il semble en effet sensé d’attribuer un impact plus faible au laitier qu’au clinker, dans la mesure où le laitier reste un co-produit d’une autre industrie. La méthode par expansion du système elle, bien qu’étant une des plus recommandées dans la hiérarchie des méthodes d’allocation à disposition des pratiquants des ACV, mélange des émissions induites et évitées, ce qui pose la question de la légitimité de ces kilos de CO2 compté “en moins”.
Nous pourrions tenter d’arbitrer sur quelle méthode d’allocation serait la plus adaptée pour le cas du laitier de haut-fourneau mais nous sommes convaincus que la production du laitier ne revient pas à une empreinte carbone nulle et elle N’EST PAS négligeable. La question n’est donc pas tant quelle méthode mais plutôt quelle valeur retenir, et surtout quelle valeur au-delà de 100 kgCO2eq/t.
S’il fallait conclure
Quelle que soit la méthode choisie, nous estimons qu’une valeur juste de l’impact carbone du laitier se situe autour de 400 à 500 kgCO2eq/t pour la totalité du module A de l’ACV. Soyons sympa et prenons 400, nous obtenons alors les résultats suivants pour les ciments :
EDIT DU 04/01/2021 : à noter en rappel que les ciments n’ont pas tous la même utilisation ou le même usage
Puis pour les bétons :
Là où un béton pas vraiment bas carbone pouvait revendiquer un impact 5 fois plus faible que le béton traditionnel, ce même béton permet en réalité et sans forcer le trait, seulement un gain de 35%. Le véritable impact d’un béton pas vraiment bas carbone est 3 fois supérieur aux calculs actuels.
Quelles conclusions ?
– Oui le laitier permet de réduire le bilan carbone du béton (son bilan carbone est plus faible et il permet d’éviter l’usage de ciment).
– Non les bétons actuels dit “bas carbone” (CEM II ou III) ne sont pas vraiment bas carbone. Nous parlions de mot juste pour le laitier, pour les CEM II ou III on peut parler de béton moins carboné.
Gardons les mots bétons bas carbone à d’autres types de béton en train d’arriver sur le marché.
Pour élargir le débat, 4 rappels importants :
> D’abord , la disponibilité limitée des laitiers, qui ne pourraient représenter qu’environ 20% de la production européenne de ciment en 2030, ne permettrait pas en tout état de cause de massifier l’emploi de ces bétons.
> Ensuite, l’indice de réchauffement climatique (CO2eq) ne prend pas en compte l’épuisement de la ressource (sable) et l’impact sur la biodiversité. Je vous laisse vous faire votre opinion après avoir lu l’excellent article du Guardian.
> De plus, la SNBC est très claire sur le sujet, il faut massifier l’usage de matériaux stockant le carbone (le bois) dans la construction en remplacement du béton. Cela permet de réduire l’empreinte carbone (émissions de GES) et de participer activement aux puits carbone (puits GES) nécessaires pour atteindre la neutralité.
> Enfin les cimenteries représentent 7% des émissions totales de gaz à effet de serre à l’échelle de la planète (7% c’est beaucoup) et il faut réduire nos émissions le plus vite possible sans attendre d’éventuelles solutions technologiques qui ne sont pas encore là.
Le béton peut être parfois utile, mais PARTOUT où on peut s’en passer IL FAUT s’en passer.
Matthias Dreveton
Chef de projet Structure
Guillaume Meunier
Directeur délégué - Responsable du pôle environnements
François Consigny
Président
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