Cloud structures : l'infrastructure numérique qui sous-tend la conception axée sur les données.
Article initialement publié dans le numéro de septembre 2017 de Domus Magazine.
Investissements dans les outils numériques
La numérisation actuelle a ouvert de nombreuses possibilités pour faire passer les travaux d’ingénierie et d’architecture à l’échelle spatiale et temporelle, du bâtiment à la ville et de l’analyse ponctuelle à l’analyse à long terme. Nous puisons désormais beaucoup plus transversalement dans tous les domaines d’expertise de l’industrie : analyse structurelle, consommation et production d’énergie, confort thermique et psychologique, analyse du cycle de vie, biodiversité…
Grâce aux outils de calcul, nous essayons de quantifier et de visualiser l’évolution des émissions de carbone, des flux de matière, d’énergie et d’eau qui soutiennent l’activité de la multitude d’agents et de systèmes qui façonnent nos villes complexes : il est désormais courant de modéliser précisément le potentiel des toits solaires d’une ville entière en une seule fois, de simuler la façon dont la lumière du soleil et le vent chauffent et refroidissent les rues et les bâtiments, d’optimiser des dizaines d’options de conception pour atteindre les objectifs de durabilité. Afin de couvrir ce terrain à des coûts toujours plus bas, nous construisons et utilisons une infrastructure logicielle croissante fonctionnant sur des données, le « nouveau pétrole du 21e siècle ». Nous l’étendons de plus en plus en rendant les bâtiments, les réseaux et les villes « intelligents », contribuant ainsi aux flux qui circulent dans nos pipelines de collecte de données.
Lutter contre un nouveau type de complexité
Nous commençons à voir les fissures dans cette infrastructure numérique. Les données que nous collectons et sur lesquelles nous nous appuyons deviennent difficiles à traiter et à raisonner, sont fausses, incomplètes, imprécises ou obsolètes : nos clients ne possèdent que des informations brouillées sur les factures de services publics, les capteurs commencent à dériver ou à interférer avec ce qu’ils étaient censés mesurer… Le temps que nous consacrons au travail de conception proprement dit est dérisoire en comparaison du temps passé à nettoyer les données, à faire de la plomberie et à effectuer des tâches liées à la modélisation. L’illusion de contrôle donnée par les modèles complexes et leurs métriques simplistes crée des angles morts dans notre compréhension de la réalité. Notre expertise est si étendue à travers les disciplines que nous utilisons parfois nos outils comme des boîtes noires et que nous perdons une partie de notre jugement critique si nécessaire.
Quelle est la voie à suivre ?
L’infrastructure numérique est là pour durer et son expansion est une opportunité énorme pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés, du changement climatique à la pénurie de ressources. Cette façon de faire a une valeur économique et scientifique indéniable, mais ses avantages sociaux et environnementaux sont beaucoup plus incertains. Est-ce le meilleur moyen à notre disposition pour atteindre la durabilité urbaine ? Premièrement, nous devons peut-être nous appuyer davantage sur des modèles de base simples mais compréhensibles et pragmatiques, deuxièmement, équilibrer l’empreinte écologique et les avantages de cette infrastructure in silico, et ensuite, améliorer ses parties et nos pratiques.
Cette façon de faire nécessite une expertise large et verticale, qui intègre les grandes questions macroscopiques de durabilité et le type de travail de terrain microscopique auquel nous nous livrons lorsque nous nettoyons des données, que nous articulons des équations, que nous écrivons ou utilisons des codes informatiques de simulation. La transformation numérique doit être plus qu’un simple moyen de stocker et de déplacer davantage de données dans un réseau complexe de systèmes logiciels. Son travail consiste avant tout à créer des informations utiles pour le processus de conception et ses participants : architectes, ingénieurs, clients, occupants des bâtiments… Pour ces différents types d’utilisateurs, nous devons encore construire de bonnes interfaces de données humaines pour compléter nos modèles d’information sur les bâtiments ou les villes. C’est ce que nous devons faire !