Ressentir le projet : concevoir la ville par la maitrise de l'ilot de chaleur urbain

A l’heure où la ville doit se réinventer, où l’artificialisation doit tendre vers le zéro et où l’impact du changement climatique se fait de plus en plus présent (faut-il encore rappeler que les 5 années les plus chaudes en France depuis 1900 ont TOUTES eu lieu il y a moins de 10 ans ?), le travail sur la bonne conception des villes en exploitant l’ensemble des compétences existantes est l’enjeu majeur des 10 prochaines années. Et notamment, la physique des espaces urbains doit revenir au centre des choix de conception pour anticiper et améliorer l’état des villes actuelles. La résilience face au changement climatique passe aussi à travers la maitrise des ilots de chaleur urbains.

Si nous repartons de la base, la ville par ses matériaux, ses formes et ses activités humaines modifie l’espace naturel. Ces transformations locales entrainent des modifications d’humidité, de vent, de température et même de précipitations par rapport aux zones rurales avoisinantes : la ville crée son propre climat urbain (on ne saura trop vous conseiller à ce sujet la lecture de notre ouvrage Guide d’interactions Energie_Climat / Vol.2: Résilience).

L’effet le plus ressenti est l’écart significatif des températures au cœur des villes par rapport à la périphérie rurale. C’est le météorologue Luke Howard, il y a presque 200 ans, dans son ouvrage Le climat de Londres qui pour la première fois en 1833 montre, avec une campagne des mesures sur plusieurs années, cet écart des températures entre la ville et la campagne, en constatant que ce phénomène est plus marqué en hiver et pendant la nuit.

Effet d'ilot de chaleur urbain

Effet d’ilot de chaleur urbain : profil de température lors d’une journée estivale moyenne. Source : LBNL, élaboration Elioth

Ce phénomène, appelé ilot de chaleur urbain (ICU), a de nombreuses causes, mais aussi de nombreuses conséquences, en particulier durant les fortes chaleurs d’été : diminution du confort en ville, augmentation de la demande en climatisation, augmentation de la pollution, risques pour la santé.

Comme si l’ICU en soit ne suffisait pas, le changement climatique ne fait qu’augmenter les conséquences négatives des ICU. La surmortalité de l’épisode caniculaire de 2003 en Europe a été, en effet, beaucoup plus marquée en ville. Que va-t-il se passer dans un monde où les canicules seront là plusieurs fois par an ?

Plusieurs facteurs à prendre en compte

La plupart de l’attention sur les ilots de chaleur urbains est focalisée sur les matériaux absorbant la chaleur et la manque de végétalisation. En effet, le surfaces minéralisées qui constituent une grande partie de nos villes, sont une véritable trappe pour la chaleur, qui est accumulée pendant toute la journée et relâchée pendant la nuit. Les couleurs foncées du bitume et de certains bétons et pierres accentuent le phénomène, en diminuant la part de radiation solaire qui est réfléchie vers l’atmosphère. De plus, ces surfaces prennent souvent la place de surfaces végétalisées, qui permettraient de réguler la température selon le rythme jour-nuit. En termes plus techniques, on dira que l’albédo des matériaux utilisés en ville est plus faible que celui naturellement présent sur un territoire non urbanisé.

revetement et temperature radiante

Impact de plusieurs revêtements de sol sur la température radiante lors d’une journée estivale moyenne. Source : Elioth

L’albédo est, pour un matériaux donné, une donnée physique qui exprime sa capacité de réflexion lumineuse. A une échelle spatiale supérieure, on peut définir l’albédo d’un toit, d’une ville ou de la Terre. L’albédo dépend alors de la forme du tissu urbain, des matériaux, de l’angle zénithal du soleil et se définit, comme pour un matériaux, comme le ratio entre le flux reflété et le flux solaire incident. On parle alors d’albédo effectif.

Cependant beaucoup d’autres facteurs contribuent au phénomène et se limiter à la matérialité et l’albédo c’est oublier une partie du problème et donc une partie des solutions.

Les vents, par exemple, contribuent à dissiper la chaleur des surfaces par convection et sont donc un important facteur de régulation de la température urbaine, ainsi que du confort humain. Selon la rugosité et les discontinuités du tissu urbain, certaines parties de la ville peuvent être plus exposées aux vents que d’autres.

La présence d’eau permet aussi de modifier l’humidité localement et donc la température ressentie. Pensez, par exemple, lorsque l’on marche à proximité d’une fontaine avec une brise : notre confort n’a rien à voir avec ce qui peut se passer à 15m sans l’une ni l’autre.

Non des moindres, la forme de la ville en elle même, bien évidement, contribue au phénomène. Le tissu urbain dense forme de véritables « canyons urbains » qui empêchent à la chaleur de sortir vers l’atmosphère et diminue l’albédo urbain. C’est pourquoi le facteur de vue du ciel est un indicateur important de la capacité de dissiper la chaleur vers atmosphère.

Enfin, les usages de la ville sont également responsables de la surchauffe. En effet, la chaleur n’est pas seulement celle du soleil, mais elle est aussi produite par les activités anthropiques, comme le trafic, le conditionnement des espaces, les process productifs, qui sont concentrés dans les zones urbaines. Paradoxalement, le recours à la climatisation des espaces intérieurs pour faire face à la chaleur estivale ne ne fait qu’extraire des calories vers les espaces extérieurs, accentuant le problème des ICU. Remarquez ici le sillage laissé par les voitures qui réchauffent le bitume.

ICU _ copyright ville de Paris

Thermographie d’hiver du 06/03/2009 en début de soirée, en 6 la présence de voiture marque fortement la température du sol. Source : APUR, Les îlots de chaleur urbains à Paris – Cahier n°4

Quelles méthodes pour anticiper ?

On le voit : l’ICU c’est la combinaison de nombreux phénomènes physiques et donc assez logiquement plusieurs méthodes d’évaluation des ICU existent. Leur application est souvent déterminée par l’échelle d’application (ville ou secteur de projet), objectif (diagnostic ou évaluation d’un projet) et du budget. Traditionnellement, on s’appuie sur la différence de température mesurée en milieu urbain et celle d’une station météo de référence en milieu rural. Comme l’îlot de chaleur urbain est un phénomène qui est plus marqué pendant la nuit, on fait souvent référence aux heures nocturnes.

Cette méthode de mesure ponctuelle, dont le prix est assez bas avec les nouveaux capteurs, permet un diagnostic efficace, mais ne permet pas de faire de la conception des espaces urbains quand il s’agit par exemple de comparer plusieurs scénarios.

Carte de la température moyenne annuelle en 2018 pour la région de Lyon (Elaboration Elioth sur données Méteofrance, fond de carte OSM). L’ICU de l’agglomération lyonnaise est bien visible sur les données mésurées par les stations météorologiques MéteoFrance.

Il existe aussi des méthodes simplifiées qui associent à chaque stratégie d’aménagement (p.ex. sol végétalisé vs sol minéralisé) un coefficient de résilience à l’ICU (souvent lié uniquement à la couleur ou type de matériaux, prenant donc en compte partiellement l’albédo). Ces méthodes peuvent parfois être utiles pour la comparaison des scénarios, mais ne peuvent pas valider l’efficacité réelle d’une stratégie par rapport à une échelle reconnue, ni être extrapolées à grande échelle. L’erreur devient grande lorsque la taille du site augmente ou les paramètres non pris en compte sont prépondérants. On peut presque résumer cette méthode à « rajouter de la verdure et tout ira bien » ou pour faire une analogie architecturale, ne regarder que le coût d’une construction et pas ses qualités intrinsèques.

Pourtant, à l’heure où la performance des ordinateurs est incroyable, nous sommes persuadés chez Elioth que les modèles microclimatiques sont la seule méthode à être à la fois applicables pour un diagnostic et surtout pour faire de la conception en vérifiant l’efficacité des stratégies de lutte à l’ICU sur un territoire. À la différence des indices simplifiés qui se concentrent sur un ou quelques paramètres, les modèles de microclimat urbain arrivent à prendre en compte tous (ou presque) les échanges radiatifs en milieu urbain.

Modeles microclimatiques

Application de modèles microclimatiques pour évaluer l’impact de différents scénarios d’aménagement. Source : Elioth

Parmi le modèles microclimatiques disponibles, Elioth utilise couramment des logiciels issus de projets de recherche, comme ENVI-Met (le seul qui permet la prise en compte des effets locaux des vents, normalement faits avec des simulations 3D beaucoup plus complexes), Solweig et CitySimPro. Si le vent n’est pas un enjeu majeur, Elioth préconise l’utilisation de modèles open-source, comme Solweig.

L’avantage d’utiliser ce type de modèles est que la plupart de villes disposent désormais de modèles urbains complexes, qui associent à la donnée cadastrale, d’autres informations utiles au diagnostic ICU, comme, par exemple, les hauteurs et les caractéristiques des surfaces. Souvent disponibles en open-data, les modèles urbains intégrés dans un Système d’Information Géographique (SIG) permettent une représentation des différentes couches agissant sur le microclimat urbain (végétation, eau, bâtiments…) et une inscription à posteriori dans la base.

Le modèle microclimatique arrive ensuite à traduire les effets de ces couches sur l’environnement, notamment en termes de température, rayonnement solaire, humidité et vitesse du vent. Avec ces grandeurs définies, il est ainsi possible d’intégrer un modèle de confort extérieur, qui arrivera à prédire la sensation thermique des usagers de manière spatialisée à climat donné ou à climat futur.

Ressentir le projet…

Grâce aux modèles du microclimat urbain, il est possible d’anticiper à la fois le changement climatique (à l’aide de fichiers climatiques prospectifs) mais aussi et surtout la sensation thermique des usagers avant et après le projet.

Nous utilisons pour cela la température ressentie : une grandeur virtuelle, non directement mesurable (contrairement à la températures d’air ou du sol), mais pourtant qui nous est très familière. Il faut passer par des mesures d’ambiances équivalentes, où le ressenti est équivalent à la situation réelle. Il y a plusieurs modèles qui ont été développés par des chercheurs à travers des études sur des personnes pour évaluer leur sensation thermique (p.ex. il fait trop froid, il fait trop chaud, il fait ni froid ni chaud) et donc formuler une température ressentie. Parmi ces indicateurs on retrouve notamment l’UTCI (Universal Thermal Climate Index), un indicateur qui fonctionne pour toutes les gammes de température, dans tous les climats et en toute saison pour prédire la sensation thermique d’une personne qui marche dans l’espace public avec un chiffre compréhensible par tout un chacun.

Avec les indicateurs de confort, on peut quantifier le nombre d’heures par chaque sensation thermique et comparer différents scénarios de projet. Avec des seuils de confort, on arrive à déterminer si le projet arrive effectivement à maitriser les risques de stress thermique, ce qui est le premier pas pour construire une ville résiliente.

…et le rafraichir

Plusieurs techniques existent pour maitriser les ICU et aider à diminuer la surchauffe, au moins à l’échelle locale d’un projet, à travers des ilots de fraicheur. Les étendues d’eau, la végétalisation, l’utilisation de matériaux clairs aident à réduire les ICU et, à travers les modèles microclimatiques, on peut évaluer et comparer leur efficacité dans la limitation des situations de stress thermique.

Elioth et son laboratoire d’architectures expérimentales (169 Architecture) proposent aussi des solutions innovantes de mobilier urbain, qui peuvent être intégrées même dans des contextes protégés.

mobilier climatique

Ilot frais : un exemple de mobilier climatique rafraichissant développé par Elioth (Design : Loma Studio pour Climespace)

L’anticipation des ICU et la création d’espaces de fraicheur sont primordiales dans la conception de la ville de demain. L’utilisation abusive d’indicateurs simplifiés tend à trop réduire la physique complexe du microclimat urbain et ne permet pas de se rapporter à des échelles reconnues de température ressentie, les seules pouvant prédire des éventuelles situations de stress thermique. Les nouveaux outils liés à des modèles microclimatiques, à l’inverse, peuvent répondre à ces enjeux de bien-être et de santé, sur tout projet urbain. Le futur doit se regarder maintenant !

Pour en savoir plus

Elioth. (2013). Guide d’interactions énergie_climat / Vol.2: Résilience. 

APUR. (2017-2020). Les îlots de chaleur urbains à Paris – Cahiers n° 1-5. 

Giuseppe PERONATO

Giuseppe PERONATO

Analyste énergie-climat

Guillaume MEUNIER

Guillaume MEUNIER

Directeur Délégué & Responsable du pôle Environnements d'Elioth

Philosophie​

Répondre à l’urgence climatique en transformant durablement les bâtiments et tissus urbains.

Elioth est une marque du groupe Egis.

Egis Concept (Elioth + Openergy) est un collectif où dialoguent toutes les facettes de la conception technique face aux enjeux environnementaux.

©2001-2024 Elioth – conception – www.betrue.fr
mentions légalespolitique de confidentialité